L’utopie de la Médecine Humaniste II

Retrouver une Médecine Humaniste. Une vraie gageure. En l’état actuel, je peux témoigner qu’il est possible de mettre le patient au centre de ses décisions. Mais cela impose de résister aux effets pervers du système.

Voici le témoignage d’un ancien médecin généraliste qui après dix ans d’exercice libéral a préféré l’abandonner pour une activité salariée. (1)

 

La technicité valorisée, l’humanisme dévalorisé

« On le sait, notre formation (hospitalière) est plus technicienne que humaniste : valorisation de l’acte technique (encore plus valorisé aujourd’hui à l’hôpital par la tarification à l’activité, renforcée par la nécessité d’amortir, de rentabiliser, et donc de faire tourner ce qu’on appelle les plateaux techniques, par le côté « sérieux » et « scientifique » de l’acte technique donnant une image d’un médecin grand docteur, grand spécialiste etc…).

Sans compter que le découpage du patient et de son corps en spécialités induit une hyperspécialisation, encourage des vocations de techniciens très pointus, qui, en fonction de leur personnalité au départ, orientent la pratique vers ce type de pensée et très peu vers une approche globale, humaine et humaniste de l’homme.

Sans compter que la psychologie est très dévalorisée aux yeux de nombre de ces médecins-élites (j’avais un chef à l’hôpital, major de l’Internat, mais très malade psychologiquement qui m’a dit un jour : « pourquoi tu parles aux malades ? Il y a des psys pour ça !!! »). »

 

Les effets pervers du système libéral

« Le système libéral (que j’ai vécu et pratiqué pendant 10 ans… qui reste encore dans ma mémoire une sale période…) a de graves effets pervers.

Premier effet pervers : Le médecin qui passe 5 min avec chaque patient , fait 60 actes par jour, passe souvent pour un bon docteur, énergique, efficace… et gagne superbement bien sa vie, tandis que celui qui passe parfois 30 à 45 min avec quelqu’un qui est en souffrance psychologique ou à lui expliquer quelques mesures de bon sens (qui seront plus efficaces qu’un médoc prescrit à la va-vite, et coûteront au final beaucoup moins à la collectivité, aussi bien à court terme qu’à long terme, puisqu’il y aura des effets pérennes) est pénalisé : il gagne moins bien sa vie, son action n’est pas reconnue ni valorisée par notre société.

Deuxième effet pervers, conséquence du premier : les médecins souffrent en définitive d’une mauvaise qualité de vie (stress, longues journées de travail… et à quoi bon gagner plein d’argent quand on n’a pas le temps de le dépenser), sont isolés, n’ont plus de temps de se former, de s’informer (je ne parle pas que du domaine professionnel), de se cultiver et pour certains, sont en grande souffrance morale. Une étude récente faite en Normandie montre que le taux de suicide est le double de celui de la population générale (même si ça n’est pas nouveau, c’est toujours inquiétant…)

Troisième effet pervers, les médecins qui ne s’accommodent pas de ce système (reconnaissance pécuniaire inversement proportionnelle au temps passé avec les patients) finissent par le fuir (comme j’ai fait moi-même) et il reste dans le système d’autres, parfois cupides, parfois mégalos, parfois prisonniers d’un système d’où ils ne savent pas comment s’échapper (il n’est pas facile de réduire son train de vie surtout quand on s’est endetté). 

Quatrième effet pervers : la seule revendication qu’ils opposent à l’assurance maladie et aux pouvoirs publics, c’est qu’on augmente le prix unitaire de leur acte pour faire reconnaître symboliquement la valeur de leur travail, ce qui augmente leurs impôts et les oblige à faire encore de la surenchère d’activité, et augmente d’avantage le niveau d’exigence des patients qui en veulent encore plus pour l’acte payé, et le niveau de mécontentement quand il y a un aléa ou une erreur médicale. »

 

L’illusion de la médecine libérale

« La plupart des médecins et des syndicats médicaux sont pourtant particulièrement attachés au paiement à l’acte, opposés à une rémunération partielle au forfait (pour certains services, dossiers de suivi…), parce qu’ils croient à l’illusion que leur exercice est encore libéral (en réalité il en a les inconvénients et plus les avantages), à leur indépendance (alors qu’on les oblige de plus en plus à rendre des comptes…)

Et ça continue de plus belle… »

(1) source : Forum des Commissions Démocrates, site ouvert aux adhérents du MoDem pour l’amélioration du projet politique. Publié avec l’accord de l’auteur, susceptible d’être modifié selon les souhaits de celui-ci.

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4 réponses à L’utopie de la Médecine Humaniste II

  1. nicolasguillon dit :

    Blog avec des articles très intéressants. D’autant plus que c’est un domaine que je connais fort peu.
    Je vous ajoute dans mes liens sur mon blog http://nicolasguillon.lesdemocrates.fr/ pour aider votre référencement.
    Bonne continuation

  2. patatlas dit :

    Tiens? J’aurais pu aussi écrire cet article: après 10 ans de médecine libérale, et quelques années de salariat dans le privé, je suis maintenant médecin territorial (fonctionnaire!!) dans un service de PMI.
    Il y a bien d’autres effets pervers…
    A noter, que pour les médecins libéraux de secteur I (dépassements d’honoraires interdits), ils n’ont de libéral que le nom: pas de liberté des tarifs, pas de publicité possible, que reste-il de libéral? La liberté de payer ses impôts, de s’installer où il veut, de partir en vacances où et quand il veut (peux?)?

  3. drjp dit :

    Désolé de contredire au niveau de la pratique de la spécialité; l’évolution des connaissances dans chaque domaine est si importante qu’il est difficile pour même un spécialiste d’offrir au patient la meilleure capacité de diagnostic et de traitement pour l’ensemble de la pathologie que recouvre chaque spécialité. Pour le domaine de la psychiatrie, par exemple nous allons vers des sous -spécialités (maladie affective, psychose, trouble de personnalité) avec des équipes différentes formés spécifiquement.
    Les études montrent que les résultats thérapeutiques sont supérieurs à l’approche non spécifique.L’écoute des patients est nécessaire mais non suffisante. Le médecin doit faire le lien et la liaison avec les autres pathologies; le diagnostic différentiel fait encore partie de la bonne clinique.

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